6 septembre 2025 - Commentaires fermés sur Journée 4 : les trois corps de l’être humain
Journée 4 : les trois corps de l’être humain
Aïkido est donné par M.Ueshiba, selon les termes même qu’on a pu écouter hier, comme une pratique destinée « à corriger », ou « cultiver son propre Esprit », « une grande ablution » : il se situe donc dans une perspective que l’on peut qualifier de « spirituelle » ( si toutefois on ne sépare pas Corps et Esprit, comme l’Occident a eu coutume de le faire pendant des siècles…), et si on ne craint pas de prononcer ce mot, si souvent prononcé à mauvais escient aujourd’hui.
Loin d’être religieuse pour autant, cette pratique peut « éclairer le religieux » et « conduire les religions à leur but » nous dit-il. En d’autres termes, Aïki ainsi entendu est une pratique « à caractère initiatique », c’est-à-dire qui place le pratiquant sur un chemin possible de « réalisation » spirituelle, et non de simple « croyance ».
Encore faut-il pour cela quelques éléments de compréhension qui permettent de ne pas entendre l’expression de Ueshiba « Je suis l’Univers » comme un délire qui ne nous concerne pas, mais bien comme l’expression même d’une possibilité de dépassement de la dualité, et que l’on retrouve chez bien d’autres, que ce soit dans le Védanta, dans le Zen ou chez des maîtres soufis.
Pour que cette mise en chemin puisse être effective, encore faut-il déplacer les conceptions courantes concernant le corps et poser des représentations de ce qu’est un être humain plus en rapport avec les possibilités évoquées ci-dessus, et loin des conceptions modernes.
Pour cela, nous allons lire aujourd’hui un texte de Pierre Feuga qui commence ainsi :
« La doctrine Hindoue nous enseigne que l’être humain, dans toute son extension, est constitué de trois corps »…
(Notez que dans cet enseignement, P. Feuga s’est directement inspiré d’un texte de René Guénon, tiré de « L’Homme et son avenir dans le Védanta », dont la lecture est plus complexe - c'est au chapitre 9, les enveloppes du Soi - pour ceux qui souhaitent creuser plus avant)
Il me semble inspirant – et nécessaire – d’avoir présent à l'esprit que la pratique d’Aïkido s’adresse aux "trois corps" du pratiquant, et non à son seul corps physique.
On ouvre ainsi une distinction forte entre l’Aïkido pratiqué "au sein de la modernité", en accord avec les représentations dominantes, qui s’assimile finalement à une activité sportive à destination exclusive du corps physique, et un Aïkido pratiqué « hors de la modernité », en accord avec des représentations plus complètes de l’Homme, issues des traditions métaphysiques orientales (Inde ou Chine).
Notez pour finir, avant de lire ce texte, que ces représentations « nouvelles » sont présentées pour interroger, et non pour donner des réponses. Qu’est-ce donc qu’un Aïkido qui s’adresse à ces trois corps, et en quoi diffère-t-il d’un Aïkido que l’on pourrait qualifier(péjorativement) de « moderne » ???
Texte tiré des « Cinq visages de la déesse » de Pierre Feuga
La doctrine hindoue enseigne que l’être humain, dans toute son extension, est constitué de trois corps (shrira, de la racine shri, dépérir) et de cinq « enveloppes » (kosha, mot que l’on peut décrire par gaines ou fourreaux). Le premier corps, dont l’existence est évidente à tous, est le corps grossier ou dense (sthûla-sharîra), perceptible par les cinq sens que l’on énumère dans leur ordre de production ainsi : ouïe, toucher, vue, goût, odorat. Une seule enveloppe lui correspond, que l’on dit « faite de nourriture » (annamaya-kosha) et qui, comme toutes les substances corporelles est composée des cinq éléments sensibles (éther, air, feu, eau, terre) diversement mélangés pour former les différents constituants du corps, chair, sang, graisse, moëlle, nerfs, etc…
Les deux autres corps ne sont appelés ainsi que par analogie avec le précédent, car ni l’un ni l’autre ne méritent rigoureusement ce nom. Le plus intérieur, ou symboliquement le plus éloigné du corps grossier est le corps causal, ou principiel (kârana-sharîra) qui, lui aussi, est constitué d’une seule enveloppe « faite de béatitude » (ânandamaya-kosha). Il se situe au-delà des formes et par conséquent, de l’individualité en tant que telle. L’expérience vitale qui lui correspond est celle du sommeil profond, état homogène et indifférencié, non pas « inconscient » comme on l’écrit trop souvent mais où la conscience n’a plus rien à contempler que sa propre félicité. Le rapprochement que l’on fait quelquefois entre le corps causal des Hindous et le « corps glorieux » de la doctrine chrétienne est intéressant mais ne saurait aller jusqu’à une totale assimilation étant donné la trop grande différence de points de vue eschatologiques.
Intermédiaire entre ces deux corps, comme l’Atmosphère l’est entre le Ciel et la Terre, se déploie le corps subtil. Cette expression convenue, quelque peu désuète et énigmatique - préférable en tout cas au corps « astral » ou « éthérique » de certaines écoles- traduit le sanskrit « sûkshma-sharîra ». Mais les Hindous en utilisent une autre équivalente, c’est linga-sharîra, littéralement « corps, en tant qu’il est le signe » d’une réalité supérieure. Lorsqu’on est un intermédiaire, on est à la fois indispensable, et souvent haï des deux parties. C’est le cas de cet infortuné corps subtil, courtisé par les uns et décrié par les autres, surtout par les « purs esprits » qui le considèrent comme un obstacle vers les réalités transcendantes. Mais dira-t-on d’un pont qui relie deux rives ou de l’escalier (en colimaçon) qui relie deux étages qu’ils sont des obstacles ? La seule chose certaine, c’est que, si l’on veut aller plus loin, ou plus haut, il faut traverser le pont, monter l’escalier. Encore ces images sont-elles fort approximatives.
On a souvent souligné l’ambivalence, l’ambiguïté du corps subtil – parlant tout à l’heure de « monde intermédiaire », qui n’est jamais que le champ de son action, nous aurons à y revenir. Ici un crayon trop net ne conviendrait pas. Car ce corps, cette « forme » plutôt, n’a pas la géométrie d’un temple grec. Elle est essentiellement énergie, donc réalité mouvante, fluente, rebelle aux définitions. Elle échappe à l’espace, mais non entièrement au temps. Survivant au corps sensible, elle périra pourtant elle aussi tôt ou tard. On ne peut donc pas l’identifier à l’âme immortelle des théologiens. Songeons plutôt, en faisant toutes les transpositions nécessaires, au « Mercure » des hermétistes, c’est-à-dire à l’élément intermédiaire entre les apparences sensibles (le « Sel ») et les réalités purement spirituelles (le « Soufre »).
En ce corps subtil, que gouverne le corps causal et qui gouverne à son tour le corps grossier, les Hindous ont distingué encore trois enveloppes (ce qui porte ainsi à cinq le nombre total de celles-ci pour l’ensemble de l’être humain). Allant de la plus extérieure vers la plus intime, comme on pèlerait un oignon, on trouve :
- Prânamaya-kosha, l’enveloppe « faite de souffle vital » (prâna), c’est-à-dire composée des dix vayus, des nâdis ou courants invisibles qui irriguent le corps subtil, des chakras, -roues, centres où l’énergie s’accumule et se recueille plus spécialement ; à quoi l’on peut ajouter diverses facultés d’action et de sensation dont la liste importe peu ici.
- Manomaya-kosha, l’enveloppe mentale, vivier de toutes nos pensées, tendances, imaginations, mémoires, « conscient », « subconscient » et « inconscient », tout à la fois des psychologues modernes.
- Enfin, Vijnânamaya-kosha, enveloppe intellective ou intuitive, puisque les métaphysiciens de l’Inde ont toujours marqué une distinction entre buddhi, l’intuition pure qui émane du cœur, et manas, la pensée discursive et indirecte qui procède du cerveau. La seconde n’est qu’une réflexion de la première, comme la Lune ne fait que réfléchir une partie de la lumière qu’elle reçoit du Soleil. Et, alors que la tendance spontanée de la Buddhi est toujours d’unir, celle de manas est toujours de séparer, comme le montrent surabondamment toutes les philosophies, idéologies, sciences particulières qui dérivent de son activité.
Le corps subtil est donc revêtu de ces trois fourreaux, mais il est certain que d’autres distinctions encore pourraient y être introduites. Il ne s’agit là après tout que d’un schéma, admirable sans doute et très pénétrant, mais ni absolu ni définitif : manas a bien d’autres tours dans son sac…
Le principe/pilier du jour : le Silence
Le cœur du jour : Wu Shin : la Compréhension ( par le Cœur)
La qualité de mouvement Jing : Quiet
Les mots du poète
« Par l’exercice il apprend
Qu’avant même que ne surgisse le Geste
Comme prise de parole
Il y a le silence
Le silence
Qui, lui Est l’écorce de toute énonciation »
« Et si l’on a pu dire
Qu’au Commencement était le Verbe,
Il faut donc
que ce Verbe fût silence »
« Le vide entoure le plein
Et la coque le fruit
C’est la raison pour laquelle
Le Silence enveloppe le Geste
Espace insondable
Que le Bouddhisme Zen
Nomme Vacuité. »
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